Tester et apprécier une séance de codéveloppement (épisode 2)
Après avoir écrit un article sur le codéveloppement selon Adrien Payette et partagé avec vous quelques conseils préalables à l’achat de ce type de formation, je vous propose d’aborder le contenu d’une séance.
L’objectif est de partager quelques clés pour apprécier la pertinence de la proposition de facilitation et de Codev qui vous est proposée en situation, étape par étape.
Que pouvez-vous observer pendant la séance de codéveloppement ?
Les évaluations des participants ne suffiront pas pour évaluer une séance de codéveloppement : elles vous permettront de constater que le Codev « donne satisfaction aux participants » mais il suffit parfois d’une bonne ambiance pour cela.
Vous avez besoin d’identifier les apprentissages, d’évaluer la pertinence de la séance, de vous assurer que la méthode et les règles du codéveloppement sont suivis.
Pour cela, l’idéal est de participer à une séance pilote. Je partage avec vous quelques indicateurs à observer, étape par étape.
L’étape 0 : Le choix des sujets
La première étape, ou étape 0, consiste à recueillir des sujets pour la séance, il arrive que le facilitateur accepte qu’un seul sujet soit proposé au groupe « Ouf … sauvé ! j’ai trouvé mon client » se dira-t-il.
Cela pose les questions :
– De la définition de « pairs ». Si aucun ne veut s’engager dans la démarche, comment pensez-vous construire une intelligence collective ? La relation symétrique, d’égal à égal, est essentielle. Tous sont actifs dans la démarche. Ça commence par s’engager sur un sujet partagé en étape 0.
– De l’agilité ou de la fermeté du facilitateur à engager la dynamique du groupe.
– Du professionnalisme du facilitateur dans sa pratique du Codev.
Ces expériences peuvent ainsi laisser penser à des dirigeants ou commanditaires que le Codev est une pratique de « conversation de café ».
Vigilance également à ce qu’il n’y ait pas de confusion entre l’étape 0, où les pairs posent leur sujet, et l’étape 1, de l’exposé du seul client de la séance. Certaines versions de Codev en mode court, ont tendance à mixer ces étapes, pour gagner du temps. A tort. Le risque est que le facilitateur induise des réponses au futur client ou au consultant. Et c’est vrai pour chaque étape, qui se distingue les unes des autres. Pour le coup il peut y avoir confusion entre la posture du coach et du conseil. Ce n’est pas le rôle du facilitateur, et ni le moment.
L’étape 1 : L’exposé
Sa durée est-elle suffisante ? (6 à 10 mn)
Au cours de l’exposé le facilitateur utilise-t-il le principe de la manchette, titre du journal ou encore du cri du cœur ? Après un déroulé assez long, ce moment vise à aller cherche une émotion ou sensation matérialisée par cette invitation à la formuler. Certains passeront outre, alors qu’il s’agit d’une information émotionnelle clé du client sur sa situation. Ce cri du cœur pourra être questionné dans les étapes qui suivent par le groupe, il est dommage de s’en priver.
L’étape 2 : La clarification
Le facilitateur cadre la clarification, il fait des interventions légères, il apprend aux participants à reformuler des questions qui seraient mal posées, c’est-à-dire qui induisent des réponses ou conseils. Ce ne sont surtout pas des questions de coach. Ces questions sont uniquement orientées pour découvrir la situation exposée par le client, et nous éclairer sur des zones d’ombre ou des non-dits. Le client bénéficie de joker. Le facilitateur pose lui-même des questions en tant que Consultant pour challenger le groupe sur ces angles non visibles de la situation.
L’étape 3. L’art du contrat
Un écart significatif avec la méthode d’Adrien Payette, que nous avons pu relever lors de cette étape 3 de contractualisation par exemple, est l’invitation du facilitateur au client de sortir de la séance.
Or en Codéveloppement, aucun des participants ne sort de la séance, et surtout jamais le client. Tout se passe en séance avec le groupe.
Le client formule volontiers son objectif qu’il tente d’atteindre depuis plusieurs mois. Vigilance : Son objectif est peut-être ce qui alimente son problème. C’est ce que nous nommons le changement de niveau 1 en approche systémique. Vous savez ce truc où nous tournons en rond, en faisant encore plus de la même chose. Autant dire du non changement. L’objectif ne peut pas constituer une demande en étape 3. Le facilitateur qui accepte l’objectif en guise de contrat risque de contribuer à maintenir ou alimenter le problème du client. Notamment s’il recommande au client la formule : « Comment faire pour… », formule qui induit « plus de la même chose ».
Le contrat est commun au groupe au service du client. C’est le moment où on se met d’accord entre consultants, client et facilitateur. On tombe d’accord sur les termes, en s’assurant d’aider le client et de ne pas être déjà enfermé dans une solution ou un objectif.
C’est une demande au groupe, et non un objectif du client posé au groupe. Le contrat est celui du client et non pas du facilitateur, ni d’un ou des consultants.
Un autre écart relevé pendant cette étape : certaines pratiques proposent que les Consultants formulent « ce qu’ils comprennent du besoin du client ». Il s’agit d’une demande inversée et potentiellement d’une reformulation interprétative. Les participants disent au client ce qu’ils pensent être son besoin, sa meilleure demande.
C’est trop tôt dans le processus. Nous avons une confusion sur les objectifs entre les étapes. Le risque est d’influencer le client, de le priver de son travail de formuler sa demande au groupe et de présélectionner un axe, ce qui empêchera les divergences.
L’étape 4 : La consultation
Le point clé de cette étape est la divergence des témoignages et des apports des consultants. Des témoignages paradoxaux, le tout et son contraire. Car cela ouvre la divergence, un champ des possibles élargi, de l’ouverture. Sur ce que Client et Consultants ne voient pas d’une situation, car ce sont de véritables angles morts, éclairés par ce partage multiple de chacun. Le facilitateur peut être consultant pour engager cette divergence.
L’étape 5 : La synthèse des informations et plan d’action
Dans un souci de rendre compte au commanditaire, le facilitateur a tendance à attendre un plan d’action et surtout une mise en action effective du client sur les base de ce « il s’engage à faire auprès du groupe ». Seul le client sait ce qui est bien pour lui. Donc aucune injonction ou culpabilisation pendant cette étape. S’il y a « procrastination », c’est que le client a une bonne raison de ne rien faire ou faire autrement.
Nous pourrons rendre compte au commanditaire en nous mettant d’accord avec le groupe et le commanditaire sur ce que nous restituons, et ainsi respecter scrupuleusement le règle de confidentialité promise de la séance.
L’étape 6 : L’évaluation … de nos apprentissages
Certains facilitateurs évaluent la satisfaction du groupe… et oublient que c’est l’évaluation de nos apprentissages qui est l’objectif de cette étape. Et tout le bien fondé du Codev.
Dans les formats courts cette étape est by passée. Le facilitateur gagne du temps. Souvent la confusion vient qu’il confond la résolution du problème et le Codev qui vise à apprendre de sa pratique entre pairs. L’étape vise donc à prendre un regard méta et à considérer la qualité de notre intervention en tant que Clients, Consultants et facilitateur pour éclairer ce que nous aurions pu faire mieux encore. Et après ?
Que restituer au commanditaire, acheteur et payeur du dispositif ?
Le facilitateur se mettra d’accord avec le groupe pour proposer de partager des apprentissages sur leur pratique, et sans dévoiler le secret des séances.
Cela se cale dans les règles avec le commanditaire et le groupe, en définissant des indicateurs, validés par le facilitateur garant du cadre du coaching.
En conclusion
Cet article interroge sur des pratiques et des libres interprétations qui posent que derrière la terminologie « codéveloppement » existe de nombreuses pratiques. En achetant une méthodologie qui s’écarterait des principes cœur de la pratique posé par son auteur, votre risque est que vous n’atteigniez pas les objectifs visés, voire que vous puissiez contribuer en tant que commanditaire à mettre en risque vos apprenants, risque pouvant aller jusqu’aux risques psycho-sociaux, et autres risques détaillés dans notre précédent article.
Notre seul objectif : rester dans l’état d’esprit du dispositif tel que créé par son auteur, et vous éclairer pour acheter une qualité de services de codéveloppement que votre organisation mérite.
Le dernier épisode de cette série d’articles traitera du Codev à distance, et des propositions de plateformes dédiées.
Il y aurait aussi à écrire sur l’émergence de variantes du codéveloppement, qui en ont le nom mais ne sont pas le codéveloppement tel que proposé et conceptualisé par son auteur Adrien Payette. Le terme à l’ère de l’intelligence collective plait. Vigilance à s’assurer d’acheter le dispositif d’origine, ou en conscience d’acheter son dérivé.
Isabelle Holié, Responsable des achats pédagogiques
Bibliographie et références
Cette étude s’appuie sur :
Trois références canadiennes et françaises :
- Le groupe de codéveloppement professionnel – Auteur Adrien Payette et Claude Champagne Editions Presse de l’Université du Québec
- Le Codéveloppement professionnel et managérial Tome 1 – L’approche qui rend acteur, et développe l’intelligence collective
- Le Codéveloppement professionnel et managérial Tome 2 – Animation compétente, subtilités de la pratique montée en puissance.
Et l’association Afcodev, qui vise à promouvoir le codéveloppement en France depuis son arrivée en France.
Un mot sur l’auteure : Isabelle Holié est responsable des achats pédagogiques à l’IFCAM depuis année. Elle est elle-même formée à la facilitation et pratique le codéveloppement régulièrement avec des groupes. Etre au cœur des achats et d’une pratique de la facilitation lui permet aussi d’expérimenter les offres du marché.