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Apprendre ensemble dans la société de l’Accélération

L’accélération et l’apprentissage collectif et leurs ressorts étaient au cœur des problématiques des chercheurs et des praticiens qui ont échangé cette année lors du 9e colloque scientifique sur l’ autoformation organisé par l’UCO, qui s’est tenu à Angers du 26 au 28 octobre 2016.

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L’ autoformation, qui n’est pas solo-formation (Philippe Carré), implique une présence des autres, « les pairs », facilitée par la rapidité de développement des technologies, leur robustesse et les nouveaux usages associés (plateformes Mooc, outils collaboratifs en ligne, réseaux sociaux utilisés pour apprendre ensemble, …).

Tout au long du colloque la dialectique du fast et du slow et les effets de l’accélération sur l’attention, la relation à l’autre et les savoirs, ont été explorés et vécus par les participants, les tensions associées discutées et expérimentées (projection du clip d’Eminem Rap God, où le chanteur prononce 101 mots en 16 secondes).

Ce colloque fut aussi l’occasion de rendre hommage à Bertrand Schwartz.

Un constat partagé de l’autoformation

L’apprenant contemporain est amené à traiter de plus en plus d’information, de qualité inégale, dans l’instant et à la partager avec d’autres. On observe une ouverture des savoirs et de leurs diffusions, associée à une amplification des « bruits » et un raccourcissement des délais de transmission de l’information.

Une question

Comment prendre en compte le temps nécessaire à l’apprentissage, la réflexivité qu’il nécessite et en même temps bénéficier des leviers de cette accélération et du collectif ?

Doctorante en science de l’éducation à Paris Ouest Nanterre la Défense et praticienne de l’ingénierie pédagogique à l’IFCAM, je résume dans ce billet ce que je retiens des échanges et débats, des conférences et des tables rondes. 

Retour du 9e colloque scientifique sur l’autoformation

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L’innovation ne concerne pas seulement les sphères industrielles et commerciales et nous conduit dès aujourd’hui à réinventer le travail et donc les nouveaux métiers et la formation dans son ensemble.

La globalisation des activités économiques s’accompagne aussi d’une mise en avant du particulier.

L’accélération qui caractérise notre société conduit aussi à une accélération des processus d’apprentissage et de nos transformations identitaires.

Lors de l’introduction d’un outil numérique, le questionnement et la réflexion sur cet outil est porteur d’apprentissage. Il a aussi été mentionné la nécessité d’une « éducation » des individus au numérique, au virtuel et au collaboratif. Le numérique et les outils déployés en formation ajoutent en effet de la complexité à la modalité collective.

La question de l’éthique des professionnels de la formation et des usages de la recherche au service des organisations et des individus a été abordée à l’heure où l’intelligence artificielle est une réalité. Cette question pose aussi celle de la formation à l’éthique et au numérique et du financement de la recherche sur la prise en compte des effets sur les personnes du développement du numérique et des big data.

Apprendre ensemble

L’apprentissage professionnel collaboratif permet d’apprendre par la remise en question de ses propres pratiques professionnelles et transforme également les relations aux clients et aux bénéficiaires finaux.

La société de l’accélération requalifie les besoins de tous les acteurs, et incite à entrer en contact avec le « monde des autres » (Hartmut Rosa).

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Les dispositifs peuvent être conçus selon des modalités de co-conception qui impliquent les bénéficiaires finaux dès l’amont dans les projets et leur ingénierie. Ces modalités permettent de concevoir des offres avec ces bénéficiaires finaux de façon collaborative et accélérée.

Christoph Wulf, philosophe de l’éducation et anthropologue, a rappelé l’importance du rituel dans nos sociétés et ses deux dimensions : la dimension mimétique, re-création de soi à partir de l’autre et la dimension performative, qui accroît l’intérêt pour les savoirs pratiques. Le rituel est selon lui consubstantiel de la vie sociale et donc de l’apprendre ensemble.

Accélération technologique et sociétale et nouvelles compétences

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Emmanuel Kessous, sociologue, évoque celui qui est « grand » : il est attentionné et attentif, il sait libérer son attention pour lui et pour autrui. Il l’oppose au petit dispersé, qui ne parvient pas à canaliser son excitabilité et qui n’est pas visible. « Etre grand » donne une capacité d’agir et oriente vers le collectif. Il mentionne les « makers », ceux qui parviennent à réinvestir l’excitabilité au service des autres.

Selon lui, le numérique fait émerger de nouvelles compétences :

  • « managériales » : capacité à dialoguer, à accepter d’être critiqué, à se corriger, à se taire si nécessaire et à savoir manifester son désaccord sans violence ni agressivité.
  • « Sociales » : ouverture à l’altérité, adoption de codes de tolérance, mentorat et tutorat,
  • « Herméneutique » : capacité à expertiser les sources d’un document,
  • « topologiques » : capacité de repérage et d’orientation dans l’exploration.

Ainsi, libérer son attention et mettre en œuvre un régime exploratoire en attention flottante au service d’une finalité s’apprennent.

L’attention

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La question de l’attention comme objet cognitif (lié au fonctionnement du cerveau) rejoint celle du « care » l’attention à soi et aux autres comme enjeu sociétal, porté aussi par les professionnels de la formation en tant que facilitateurs de l’apprentissage, et créateurs de liens entre les théories et les pratiques.

En ce qui concerne l’attention dans les hypermédias, Laure Chorki, chercheure en psychologie cognitive, a présenté le résultat de ses recherches sur la « capture attentionnelle dans les apprentissages ». Elle montre notamment que l’orientation de l’attention mesurée par le mouvement oculaire est fonction des buts des personnes. Avec une consigne d’exploration libre, les traces des mouvements sont sur tout l’écran, avec une consigne de recherche d’information elles sont concentrées sur une zone particulière (dans son exemple à droite de l’écran sur une zone de texte).

Le travail sur la focalisation de l’attention, vue comme un « réservoir de ressources » permet de penser différemment les contenus pédagogiques. Notre attention peut en effet supporter 4 à 5 éléments en même temps, sur une durée moyenne de 45 minutes, un tri et une sélection des ressources d’apprentissage au préalable est donc nécessaire ainsi qu’une construction pédagogique de l’information.

Ce qui capture l’attention est lié à la nouveauté et aux éléments de valeur pour l’individu, l’individualisation des formations est donc levier d’efficacité de l’apprentissage.

De façon générale, en situation d’apprentissage ou de travail, les recherches sur l’attention montrent que l’introduction de tâches périphériques à la tâche principale augmente significativement le risque d’erreurs (+27%) et réduisent la performance. Laure Chorki rappelle ainsi que le système attentionnel comme le système cognitif est limité, à nous de choisir par quoi l’on accepte d’être distrait. L’expertise conduit à des processus automatisés qui libèrent ainsi le système attentionnel. On constate aussi des changements liés à l’habituation des personnes aux différents outils et supports.

L’accélération

L’accélération est définie comme une dy-synchronie entre le temps perçu et le temps vécu. De nouvelles professionnalités se développent, elles correspondent à la capacité de s’approprier des rythmes dans l’activité. Cette capacité s’apprend à travers le questionnement de ses propres expériences et rythmes et des effets qu’ils produisent sur nous. Notre agentivité – l’influence personnelle sur nos propres fonctionnements – est donc un élément déterminant pour nos apprentissages.

Autoformation et autorégulation

L’autodidaxie pure est un mythe, comme le dit Philippe Carré « on apprend toujours seul mais jamais sans les autres ». L’autodidacte à recours à des personnes ressources. On observe une transmutation digitale des pratiques d’ autoformation, avec un recours quasi généralisé aux outils digitaux, en complément ou en remplacement des livres ou autres supports d’ autoformation.

L’auto-formation est aujourd’hui une étape de la formation, dans la classe inversée, les MOOC, les COOC.

La recherche montre que les personnes s’auto-forment pour le plaisir et dans une perspective d’utilité, l’autodidacte se construit lui-même sa propre ingénierie pédagogique pour apprendre, il met en œuvre des stratégies. L’autorégulation, la manière dont la personne alloue des ressources et maintien son effort est une condition de réussite de l’auto-formation.

De plus en plus d’individus ont des épisodes d’autodidaxie (Pascal Cyrot), la VAE est ainsi une « célébration » de l’autodidaxie.

Avec les big data les autodidactes sont marchandisés, profilés (cf traces analysées sur les réseaux sociaux comme Twitter, sur les MOOC, …).

Conclusion et prospective

  • La promotion de l’agentivité dans l’apprentissage permet de faciliter (l’auto-)formation
  • L’autododidaxie implique un recours à des personnes ressources, elle est auto-organisation de son apprentissage et mise en place de sa propre ingénierie de formation
  • Les réaménagements identitaires qui résultent de (l’auto-)formation, sont aussi en accélération.
  • Les smartphones sont « nos silex modernes » (Denoyel),
  • Les big data et leurs 3V, vélocité, variété et volume, la réalité immersive, l’alternance comme dispositif de professionnalisation, sont au cœur des questionnements des praticiens et des nouvelles recherches.

Vous retrouverez la présentation des conférenciers et l’ensemble des résumés des communications des chercheurs et des praticiens ici.

Dorothée Cavignaux-Bros, Ingénieure Pédagogique

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