De la formation à l’action
Début avril, l’Institut de la Gestion Publique et du Développement Economique (IGPDE) a organisé un colloque autour des enjeux théoriques, pédagogiques et pratiques de l’évaluation des effets de la formation et de son ingénierie pédagogique.
Chercheurs, experts, responsables de formation, enseignants, managers, issus, aussi bien de la fonction publique que du monde de l’entreprise, se sont retrouvés pour échanger autour de différentes questions : Comment adapter les compétences aux transformations de la société, aux grandes transitions tout en maintenant des valeurs communes ? Comment accompagner la temporalité des apprentissages et leur mise en œuvre post formation ?
Dorothée Cavignaux-Bros, responsable de recherche à l’IFCAM a été invitée à y prendre la parole, et Michel-François Kmiec, responsable du LAB Innovation & R&D de l’IFCAM à y participer. Ils nous partagent leur retour dans cet article.
Déconstruire, explorer, (ré)apprendre
La conférence inaugurale a donné le ton : en articulant histoire des théories de l’apprentissage, sciences cognitives et ingénierie pédagogique, Aurélie Van Dijk, docteure en Psychologie Cognitive, a rappelé que l’apprentissage est un processus vivant, profondément humain, qui engage émotions, collaboration, et mises en pratique.
Dans la première table ronde, les intervenants ont croisé leurs perspectives sur ce que “former à l’action” signifie vraiment en partageant leurs enjeux autour de l’ingénierie de la formation. Ce que nous retenons ? Ce n’est pas parce que l’on va en formation que l’on apprend nécessairement, cela suppose un certain nombre de conditions et une ingénierie pédagogique pensée à partir du sujet apprenant.
La notion de sens est à remettre au cœur des actions de formation au-delà de leur stricte « opérationnalité ». Les acteurs appellent à un découplage entre le temps long du développement professionnel et le temps court de l’opérationnel et du politique.
Ce qui pose problème dans nos métiers c’est que tout le monde a un avis sur la formation et ce qu’elle doit être du côté des commanditaires. Pourtant, les sciences de la formation et en particulier l’ingénierie pédagogique montrent qu’elle repose sur un certain nombre de théories et modèles aujourd’hui éprouvés ou pourtant encore peu connus.
Tous les formats et les modalités ne produisent pas les mêmes effets et les différences entre les individus sont rarement prises en compte dans des logiques d’industrialisation de la formation, l’association des publics à leur formation est pourtant souvent source d’efficacité.
La fin du “bourrage de crâne” est actée, de même que l’importance d’un juste équilibre et d’une articulation entre théorie et pratique. Après l’accélération du développement de la formation à distance liée à la crise sanitaire, place à des communautés d’apprentissage, aux apprentissages sociaux, à l’expérimentation et à une ingénierie de formation plus fine, plus ajustée aux besoins de terrain.
Enfin le post formation est aussi à travailler pour qu’il y ait possibilité de mettre en œuvre le transfert des acquis. Tout ne relève pas de la personne qui apprend, encore faut-il qu’elle puisse mettre en œuvre, qu’elle soit mise en capacité de le faire (Amartya Sen). Comment accompagner pendant et après la formation ?
La matinée s’est clôturée avec la présentation du jeu de plateau pédagogique “Andrago’Quest” par la Directrice de l’Ecole Nationale des Greffes au Ministère de la Justice et une designer. Conçu par itération avec ses futurs utilisateurs et une équipe innovation, il est destiné à dynamiser les échanges entre formateurs et favoriser l’appropriation de l’approche andragogique.
Agir, articuler, évaluer
L’après-midi, le colloque s’est prolongé autour de deux grands thèmes : la fabrication de dispositifs transverses sur la transition écologique et les sujets RSE, puis la question des conditions du passage à l’action et son évaluation.
La fabrication de dispositifs transverses sur la transition écologique et les sujets RSE
Plusieurs points ont été mis en avant dans la première table ronde de l’après-midi :
- L’importance de définir des critères et des indicateurs de mesure en amont,
- Le temps long de la transformation et de l’apprentissage en lien avec la faible portée de modalités courtes et exclusivement transmissives sans accompagnement à un passage à l’action situé,
- La nécessité de mener des enquêtes terrain en amont de la création des dispositifs auprès des futurs apprenants pour connaitre leurs perceptions et leurs contextes puis en aval pour identifier les évolutions,
- L’importance de partager et de sensibiliser aux enjeux liés aux transitions qui sont scientifiquement éprouvés et ne relèvent pas « d’opinions » en lien avec des acteurs de terrains et des initiatives concrètes comme chez Covéa avec la Fondation des femmes sur le sujet du harcèlement de rue.
- La mise en œuvre concrète suppose l’incarnation de la politique RSE par et dans les équipes de l’entreprise
- Le rôle essentiel du management dans la possibilité effective de mettre en œuvre post formation
- Les conditions du maintien dans le temps des apprentissages grâce, par exemple, aux partages de pratiques, à la facilitation de l’informel et à des « organisations apprenantes ».
Les conditions du passage à l’action.
Lors de cette dernière table ronde, les échanges ont mis en lumière la complexité de l’évaluation, notamment lorsqu’il s’agit de mesurer l’impact à moyen et long terme.
Les dispositifs classiques comme les questionnaires de satisfaction ou les systèmes de notation, montrent rapidement leurs limites : bien qu’ils apportent des éléments sur l’expérience immédiate des apprenants, ils peuvent être biaisés et ne suffisent pas à garantir la qualité réelle d’une formation. Les intervenants ont insisté sur la nécessité de construire des indicateurs plus pertinents et significatifs, définis dès la conception de la formation.
Un point central de la discussion a porté sur le lien entre l’expérience apprenant et le transfert des acquis. Nous avons présenté les résultats des travaux de recherche appliquée menés l’IFCAM. Ils démontrent notamment que moins l’expérience vécue par les apprenants est utile, engageante et remarquable, plus la probabilité de transfert des acquis en situation professionnelle est faible. Ces résultats permettent d’ajuster l’ingénierie pédagogique et d’améliorer les formats de formation.
L’accompagnement managérial et collectif joue également un rôle clé dans le passage à l’action.
Au final, les discussions ont confirmé que pour rendre l’apprentissage durable, il faut articuler l’expérience apprenant, des dispositifs d’évaluation adaptés et le contexte organisationnel.
En conclusion
Une journée de rencontres très riches ! Des problématiques similaires dans des univers de travail pourtant différents ce qui conforte l’importance de faire dialoguer et se rencontrer les acteurs de la formation, les praticiens avec les chercheurs.
Dorothée Cavignaux-Bros, PhD, responsable de recherche à l’IFCAM, et Michel-François Kmiec, responsable du LAB Innovation & R&D de l’IFCAM