Histoire des robots de l’antiquité à nos jours : entre mythes et réalité
L’idée d’introduire des robots, des objets connectés ou de l’Intelligence Artificielle dans le monde de la formation passait encore récemment pour de la science-fiction. Aujourd’hui, c’est une réalité qui ouvre des perspectives infinies pour l’apprentissage mais qui suscite bien des questionnements.
C’est dans ce contexte que nous avons souhaité mettre en place l’exposition « Apprendre avec un robot, ça vous [bot] ? » pour les collaborateurs du Groupe.
Des ressources en ligne, des conférences et des activités hebdomadaires seront proposées pendant 9 semaines sur le Campus IFCAM de Silvae à Montrouge pour appréhender ce que sont un robot et une IA, comment ils sont utilisés aujourd’hui en formation et surtout ce que nous souhaitons en faire demain dans le Groupe Crédit Agricole.
Vous n’êtes pas collaborateur du Groupe Crédit Agricole ou vous n’avez pas l’occasion de venir sur notre campus de Montrouge ? Nous avons pensé à vous. Retrouvez une série d’articles sur le sujet sur notre site showroom. Et après l’expo, nous y mettrons notre livre blanc.
Découvrez ici, un article sur l’histoire des robots depuis l’antiquité : entre mythes et réalité, écrit par Judith Lenglet, Présidente et Responsable éditoriale de Cog’Innov et Hugo Bertacchini, directeur de D-Sides, notre partenaire sur ce beau projet.
Tant sur le plan du réel que de l’imaginaire, la robotique nous subjugue car elle nous ramène sans arrêt aux contours de la condition humaine…
A travers les âges, l’Homme a toujours pensé les robots. Et bien souvent, les mythes ont précédé voire dépassé largement la réalité ! Il existe ainsi un asynchronisme fort entre ce que notre imaginaire a très tôt fantasmé, dès l’Antiquité, et ce que la technique et la science ont effectivement permis de mettre en œuvre… jusqu’à ce jour!
Cet article tisse les liens entre l’évolution réelle de la robotique et les représentations qui en sont faites au sein de la culture occidentale à travers les âges.
Les époques traitées dans cet article, sommaire :
L’Antiquité
IMAGINAIRE : 850 avant J-C – Les automates d’Héphaïstos dans l’Iliade
Héphaïstos, le dieu forgeron de l’Iliade d’Homère, conçoit des créatures artificielles qui délestent les dieux olympiens des tâches rébarbatives et pénibles pour qu’ils puissent jouir de leur existence idyllique. Portes automatiques, trépieds mouvants, servantes d’or : l’Olympe préfigure déjà nos réflexions actuelles sur l’impact des machines dans le monde du travail…
Le philosophe Aristote dans La Politique donne ainsi une lecture critique du texte de l’Iliade : « Si chaque instrument était capable, sur une simple injonction, ou même pressentant ce qu’on va lui demander, d’accomplir le travail qui lui est propre, comme on le raconte des statues de Dédale ou des trépieds d’Héphaïstos, […] si, de la même manière, les navettes tissaient d’elles-mêmes, et les plectres pinçaient tout seuls la cithare, alors ni les chefs d’artisans n’auraient besoin d’ouvriers, ni les maîtres d’esclaves. » (1, 4 , trad. J. Tricot, Vrin)
RÉALITÉ : 1° siècle ap. J-C – Les automates de l’Egypte Antique
Les premiers automates seront conçus et développés par les ingénieurs d’Alexandrie pendant l’Antiquité. Héron, un des plus célèbres d’entre eux, sera l’auteur de plusieurs automates mus par l’eau dont l’éolipyle : une des premières machines à vapeur.
Le Moyen Age
IMAGINAIRE : XIII° (autour de 1280) – La tête de métal d’Albert le Grand
À cette époque, les automates et créatures artificielles sont encore fortement assimilées à la notion de magie. Ainsi, Albert le Grand, professeur en sciences reconnu qui eut notamment pour disciple le philosophe Saint Thomas D’Aquin, aurait construit une tête de métal mi-androïde, mi boule de cristal capable de lire l’avenir. Pour la plupart des historiens, cette anecdote n’est autre qu’un mythe qui donne à voir les imaginaires médiévaux mêlant l’artificiel à la sorcellerie.
RÉALITÉ : 1495 – Le Robot de Léonard
C’est avant la période de la Renaissance et des Grandes Découvertes que paraît un des premiers automates humanoïdes, préfiguration du robot androïde d’aujourd’hui. Le chevalier mécanique de Léonard de Vinci est inspiré de ses travaux sur la cinétique (i.e. l’étude du mouvement) et sur les proportions du corps humain, qui s’illustrent à travers son dessin bien connu de l’Homme de Vitruve (1490).
Des Lumières aux Romantiques
RÉALITÉ: 1738 – Le canard digérateur (Jacques Vaucanson)
Nous entrons dans l’ère de la connaissance, du tout savoir ; époque à laquelle on voit notamment apparaître l’art de l’horlogerie et de la mécanique. Grâce à ces nouvelles techniques vont pouvoir se développer les automates comme objet de curiosité scientifique, capable de reproduire des phénomènes biologiques : c’est notamment le cas du canard digérateur de Jacques Vaucanson.
« Ce qui est particulièrement ingénieux dans ce canard c’est la façon avec laquelle l’animal avale sa nourriture. Cela se fait grâce à un petit soufflet aménagé tout en bas et qui, par des tuyaux, monte jusqu’au cou. Quand, par ce soufflet, l’air est aspiré dans le cou et que la nourriture remplit le bac, l’air extérieur doit l’y pousser. (…) Là, dans un petit espace, il a fallu construire un petit laboratoire chimique, pour en décomposer les principales parties intégrantes, et le faire sortir à volonté, par des circonvolutions de tuyaux, à une extrémité de son corps tout opposée. » (Nicolaï, Berlin et Stettin, 1783, I, p. 284)
IMAGINAIRE : 1818 – Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley
Roman populaire de l’époque romantique, la fiction de Frankenstein exprime les premières angoisses de l’homme face au progrès de la science, qui peuvent lui échapper. Inspiré du mythe de Prométhée, le transmetteur du feu qui vola le savoir divin pour l’apporter aux humains, le personnage de Frankenstein incarne bien le progrès scientifique qui se retourne contre son créateur pour se venger de la maltraitance qu’il lui a fait subir. Le fantasme d’une création qui échappe à son créateur va devenir un motif marquant dans l’imaginaire occidental autour des robots.
L’après guerre (1915-1930)
RÉALITÉ : 1915 – Le chien électrique de Hammond et Miessner
Ce n’est qu’à partir du XX° siècle, notamment grâce aux avancées de la biologie et de la psychologie, que les robots vont voir le jour : contrairement aux automates qui sont préprogrammés, ils disposent de capteurs sensoriels qui leur permettent d’interagir véritablement avec leur environnement.
Le chien électrique de Hammond et Miessner, en est un exemple : c’est un robot électrique à l’apparence de chien, capable de réagir à la lumière.
IMAGINAIRE: 1920 – Rossumovi univerzální roboti (RUR), pièce de théâtre du dramaturge tchèque Karel Capek
C’est dans cette œuvre dystopique que va naître le terme « robot » : l’histoire d’une entreprise où les robots supplantent progressivement les hommes, pour une activité toujours plus efficace et rentable. Pourtant loin d’Aristote et de l’Antiquité, cette lutte fictive entre l’homme et le robot fait bien écho à une angoisse présente dans l’imaginaire occidentale depuis des siècles.
DOMIN : « Alors le jeune Rossum s’est dit : Un homme, ça ressent par exemple de la joie, ça joue du violon, ça a envie de se promener, bref il y a tant de choses qui sont, au fond, inutiles.
HÉLÈNE : Oh non !
DOMIN : Attendez un peu. Qui sont inutiles lorsqu’on doit, disons, tisser ou calculer. Un moteur diesel ne doit pas non plus avoir des franges ou des ornements, mademoiselle Glory. Et fabriquer les ouvriers artificiels, c’est la même chose que de fabriquer les moteurs diesel. La production doit être simplifiée au maximum et le produit le meilleur possible. Que pensez-vous, quel est le meilleur ouvrier possible ?
HÉLÈNE : Le meilleur ? Probablement celui qui … qui … est honnête … et dévoué.
DOMIN : Non. Celui qui coûte le moins cher. Celui qui exige le moins. Le jeune Rossum a mis au point l’ouvrier qui a le minimum d’exigences. Il l’a simplifié. Il l’a débarrassé de tout ce qui n’est pas absolument nécessaire pour qu’il travaille. Ainsi, à force de simplifier l’homme, il a créé le robot. »
Extrait – Prologue, pp. 29-31 (R.U.R. Rossum’s universal robots : drame collectif en un prologue de comédie et trois actes / Karel Čapek)
IMAGINAIRE: 1927 – Metropolis de Fritz Lang
Nous sommes 2026 dans une société divisée : les bons, les puissants et les bienheureux, les mauvais ouvriers, soumis et rebellés. Dans ce célèbre film de l’entre deux guerres, on voit apparaître pour la première fois au cinéma un robot androïde, féminin qui plus est ! À l’image de Frankenstein qui échappe à son créateur, Maria s’affranchit également de son maître pour mener la révolution ouvrière. La rencontre entre l’homme et le robot se confond ici dans une lutte commune contre l’oppression des puissants… Et interroge ainsi, de manière détournée, la manière dont le progrès scientifique et technique peut jouer sur les forces de la société.
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RÉALITÉ: 1932 – Le microscope électronique en transmission par Max Knoll et Ernst Ruska
Véritable révolution technologique, le microscope électronique va permettre d’identifier et de produire une première classification d’un certain nombre de virus. La microscopie électronique propose une résolution bien plus précise que la microscopie optique, et permet ainsi d’observer des échantillons biologiques telles que des cellules infectieuses.
Deuxième moitié du XX° siècle
RÉALITÉ : 1946 – ENIAC le premier ordinateur électronique
On imagine qu’à une époque, l’ordinateur pouvait peser plus de 30 tonnes, occuper un espace de 167m2 et consommer une puissance de 160 kW… Et pourtant, c’est bien les dimensions et la puissance de l’ENIAC (Electronic Numerical Integrator and Computer), le premier ordinateur complètement électronique, commandé par l’armée américaine pour effectuer des calculs balistiques.
IMAGINAIRE : 1952 – Demain les Chiens de Clifford Simak
Profondément humaniste, cet auteur américain offre dans Demain les Chiens une narration originale à travers laquelle la civilisation canine qui a remplacé la civilisation humaine, propose des hypothèses sous forme de contes quant à sa disparition. Convaincu que le problème ne se situe pas dans la technologie en tant que telle mais bien dans le rapport de l’homme à celle-ci, Simak porte à travers sa fiction un message responsabilisant et critique sur notre « obsession » technologique :
« Dans ces contes, j’évoquais l’obsession de l’homme pour la société mécaniste. D’autres écrivains, et moi parmi eux, en parlent encore de nos jours, même s’ils la désignent sous le nom de société technologique. La technologie n’a rien de problématique en soi ; le problème, c’est l’obsession qu’elle nous inspire. Nous avons déifié nos machines ; de bien des façons, nous leur avons vendu nos âmes […] mais, pour l’essentiel, le péril est ailleurs. Ce qui m’inquiète par-dessus tout, c’est la déshumanisation de notre société et de notre point de vue. » (Simak, épilogue)
RÉALITÉ: 1950 – Le test de Turing
Alan Turing proposa un des premiers tests d’intelligence artificielle permettant de répondre à la question suivante : « Une machine peut-elle penser ? »
À partir de cette question, il a conçu un test simple consistant à demander à un observateur d’engager une conversation avec deux interlocuteurs inconnus et de déterminer par la suite lequel d’entre eux est un ordinateur. Turing considérait que si l’observateur ne parvient pas à les différencier, alors la machine a réussi le test. Ce test, bien que questionné et dépassé dans la recherche actuelle sur l’intelligence artificielle, demeure un paradigme fondamental du domaine.
IMAGINAIRE: 1960s – Les trois lois d’Isaac Asimov
À travers son œuvre de science-fiction, le Cycle des Robots, Isaac Asimov (écrivain et vulgarisateur américano-russe) s’insurge contre les représentations apocalyptiques, anxiogènes et diaboliques des robots. Il propose ainsi ses « trois lois de la robotique », qui feront œuvre de repères autant dans le domaine culturel que scientifique.
Première Loi
Un robot ne peut nuire à un être humain ni laisser sans assistance un être humain en danger.
Deuxième Loi
Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par les êtres humains, sauf quand ces ordres sont incompatibles avec la Première Loi.
Troisième Loi
Un robot doit protéger sa propre existence tant que cette protection n’est pas incompatible avec la Première ou la Deuxième Loi.
RÉALITÉ : 1954 – Unimate, le premier bras robotisé
L’invention d’Unimate par George Devol et Joseph Engelberger va enclencher une véritable révolution dans le secteur industriel : c’est le début de l’ère robotique industrielle, qui voit naitre les premières collaborations entre la machine et l’homme.
IMAGINAIRE : 1968 – 2001, l’Odyssée de l’espace par Stanley Kubrick
Ce film de science-fiction raconte, en faisant défiler plusieurs époques, comment une forme d’intelligence inconnue de type artificielle va jouer sur le destin de l’humanité.
Dans l’extrait qui suit, HAL, intelligence artificielle, va prendre le contrôle sur l’humain. Nous sommes en 1968, projetés en 2001, dans un monde où l’intelligence artificielle semble être capable d’affronter l’intelligence humaine et de s’en affranchir.
Des années 1990 à nos jours
IMAGINAIRE : 1986 – Le château dans le ciel par Miyazaki
Défenseur des pouvoirs vertueux d’une technologie au service de l’humanité, Miyazaki met en scène une machine humanoïde qui ira jusqu’à se sacrifier pour protéger l’ile volante de Laputa. À travers ses différentes œuvres, le cinéaste japonais suggère de nouveaux imaginaires inspirants à travers lesquels la technologie et la machine s’éloignent de leurs homologues occidentaux menaçants pour venir vivre en harmonie avec les hommes et la nature.
RÉALITÉ : 1990 – Le Robot russe Lama
Ce robot est le premier à pouvoir circuler de façon autonome sur un sol extra-terrestre. Développé dans le cadre d’un programme d’exploration de Mars, Lama est doté d’une stéréovision qui lui permet de modéliser le terrain et de construire son propre itinéraire à mesure qu’il se déplace. Il utilise des logiciels de reconnaissance visuelle ainsi que des systèmes de mesure du déplacement.
IMAGINAIRE : 2008 – Wall-E par Andrew Stanton (Pixar)
Ce film d’animation 3D est une production originale et décalée de la saga Pixar : nous sommes au 29° siècle, les hommes déserté la planète 700 ans auparavant et l’ont laissé pleine de détritus… Les robots, dont Wall-E est le seul dernier, ont pour mission de nettoyer cette Terre ou plutôt déchetterie à ciel ouvert. Curieusement, cette production porte un message fondamentalement altermondialiste qui met en cause la responsabilité de notre système actuel face au drame écologique : il est le fait des humains, et non des robots ! Tout comme Miyazaki, Stanton suggère dans son film un autre rapport entre technologie et humain.
Wall-E, petit robot sensible et attendrissant est à l’opposé du monstrueux Frankenstein de Shelley ou du Terminator de James Cameron :
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RÉALITÉ : depuis 2010 – L’émergence de la « Cobotics »
Cobotics, robotique cognitive : ces termes renvoient à l’idée que les robots et l’homme se mettent à travailler ensemble. L’entreprise multinationale KUKA, un des principaux fournisseurs de produits robotiques industriels, a ainsi développé un bras de robot qui apprend de l’homme pour que celui-ci acquiert progressivement les mêmes capacités motrices que l’homme.
Dans la vidéo qui suit, le projet européen SMERobot illustre précisément les collaborations qui se développent sur différents types de tâche, grâce à l’apprentissage afin de « renforcer la compétitivité des PME ».
Découvrez la vidéo en cliquant ici
IMAGINAIRE : 2013 – HER par Spike Jonze
Dans ce film, le personnage principal tombe progressivement amoureux… D’une intelligence artificielle ! Scarlett Johansson joue à merveille et dépasse d’ailleurs de loin le rôle de Siri, l’assistant personnel d’Iphone. Elle apprend progressivement à ressentir, à réfléchir à ses sentiments : elle développe une vie affective propre et une véritable conscience qui la rend (presque trop) humaine.
Dans cette scène, Spike Jonze illustre un horizon où intelligences humaines et artificielles pourront rentrer en empathie et se comprendre dans leurs émotions :
Découvrez l’extrait en cliquant ici
RÉALITÉ : 2017 – AlphaGo bat le champion du monde de Go
Si l’intelligence artificielle est encore très loin de pouvoir réagir émotionnellement et encore plus loin d’avoir une conscience d’elle-même, elle est déjà capable de battre l’humain sur des tâches cognitives très spécifique. Ainsi, l’intelligence artificielle AlphaGo (Google DeepMind) a battu à plusieurs reprises des joueurs de Go professionnels, jusqu’au champion du monde chinois Ke Jie qui fini par abandonner le 3° match…
Depuis 2012, la puissance de calcul des machines ne cesse de croître grâce à un accès de plus en plus élargi à de grandes quantités de données. Ces dernières constituent une banque de savoirs immense pour l’intelligence artificielle, qui va pouvoir apprendre plus d’informations et de façon plus profonde. Bien qu’elle demeure qualitativement très différente de l’intelligence humaine, l’intelligence artificielle connaît actuellement un développement certain qui questionne en profondeur notre rapport humain à la technologie… Bien plus que la « nature humaine » de la technologie !
Retrouvez plus d’articles liés à notre exposition « Apprendre avec un Robot, ça vous [bot’], sur le site showroom. Des articles seront ajoutés au fil de l’exposition !
Karel Čapek - l'inventeur du mot ROBOT - était tchèque et non russe !
Bonjour, Vous avez raison, merci beaucoup pour œil attentif ! Bonne journée, Pauline